BUREAU OF PUBLIC SECRETS


 

 

Poèmes de Kenneth Rexroth

 

 

(Années 1950)

Jeu de hasard
Les spirales du temps
Miroir
Miroir vide
Pour Eli Jacobson
Les oiseaux moqueurs
Toute une histoire
Solitude
Sérénité
Les lumières dans le ciel sont des étoiles
Codicille
Le vendeur de poisson ambulant et le cordonnier

 

 


 

JEU DE HASARD

Des pensées de toi éclaboussent ma pensée.
Des gouttes noires coulent de la lame d’épée
Du tonnère. Un jeu de cartes blanches éparpille
Ses coeurs et ses piques noirs et rouges
Équivoques. La mort me frôle
Journellement et s’acharne à barbouiller
Mes cheveux de ses produits chimiques. Les tic-tac
De l’horloge changent de voix, prononcent ton nom.
Quel repas nous sert la vie,
Raisins amers et verre cassé.
J’ai gardé le souvenir de tes seins,
Leur odeur de pâte d’amande.

[1950]


 

LES SPIRALES DU TEMPS

Sous la deuxième lune, les saumons
Arrivent, remontent Tomales Bay
Et Papermill Creek, puis
L’étroite gorge où ils vont
Frayer à Devil’s Gulch. Je sais
Qu’ils sont de retour, mais longeant
Le torrent, j’entends leurs plongeons
Et chaque année, ils me font
Sursauter. S’ils sont dérangés,
Ils se précipitent vers les bas-fonds,
Immenses corps rouges et bleus
Sautant hors de l’eau sur les galets;
Sinon, ils se tiennent paisibles
Dans des creux. Les mâles en lutte
Flottent sans bouger, fusent, reculent.
Les femelles se reposent, le ventre
Gonflé de jeunes vies, tous les adultes
Mourront bientôt, leurs flancs élégants
Tuméfiés et putrides, à demi
Déchiquetés par leur irrésistible
Pulsion. Je m’assois un long temps
Sous le soleil glacé près de
La mare, au pied de ma cabane,
Et réfléchis à ma vie — tant
De ratages, tant de pertes, toute
Cette souffrance, les morts, les impasses,
Et qu’ai-je gagné au bout
Du compte? Tard dans la nuit,
Je redescends me désaltérer. Ils sont là
Qui se ruent les uns sur les autres
Dans l’obscurité. La surface
De la mare se brouille. La demi-lune
Tremble sur l’onde brisée.
Je touche l’eau. Noire et gelée,
Des lames de glace fragile
Se figent au bord. Dans la nuit
Froide, le ruisseau cascadant
De la montagne vers la baie,
Parcourt le long cycle périodique
Qui du ciel le ramène à la mer.

[1952]


 

MIROIR

L’après-midi se termine en taches
De lumière rouge sur les feuilles
Qui couvrent la paroi nord-est du canyon.
Mon hibou apprivoisé est posé sereinement
Sur sa branche morte. Un geai
Idiot plonge vers lui en braillant.
Il l’ignore, baille,
Déploie ses ailes. Le geai
Pousse un cri de frayeur et s’enfuit.
Mon serpent royal s’est enroulé
En cercles inertes sur livres et papiers.
Même sa langue reste immobile, mais
Il veille impartial de ses yeux jaunes.
Les souris trottent, délicates,
Dans les murs. Au-delà des collines
La lune se lève, et le ciel
Devant tourne au cristal.
Le canyon s’estompe dans le demi-jour.
Un invisible palais
De verre, peuplé d’êtres
Transparents, m’entoure.
Au-dessus de la cascade floue
Dans la fente du canyon enfle
La promesse intense de lumière.
Une fille nue fait son apparition dans ma cabane,
Les pieds blancs, les hanches qui chaloupent,
Le sexe parfumé.

[1952]


 

MIROIR VIDE

Tant que nous vivons perdus
Dans le règne de la finalité
Nous ne sommes pas libres. Je m’assois
Dans ma cabane de dix mètres carrés.
Chant des oiseaux. Bourdonnement des abeilles.
Frémissement des feuilles. Murmure
De l’eau sur les rochers.
Le canyon m’enserre.
Au moindre geste, la grenouille de Basho
Sauterait dans la mare.
Tout l’été les feuilles dorées
Des lauriers ont virevolté dans l’espace.
J’ai remarqué aujourd’hui
Qu’une feuille d’érable flottait
Sur la mare. Dans la nuit
Je reste à fixer le feu.
Je voyais autrefois des cités de feu,
Villes, palais, guerres,
Aventures héroïques
Dans les feux de camp de la jeunesse.
Je ne vois plus qu’un feu désormais.
Ma poitrine bouge tranquillement.
Les étoiles bougent là-haut.
Dans l’obscurité transparente
Un dernier tison rougeoie
Parmi les cendres.
Sur la table, il y a une peau de serpent
Desséchée, une pierre brute.

[1952]


 

POUR ELI JACOBSON
Décembre 1952

Nous voici peu nombreux, bientôt
Il n’y aura plus personne. Nous étions
Camarades ensemble, nous pensions voir
De nos propres yeux le nouveau
Monde où l’homme ne serait plus
Un loup pour l’homme, hommes et femmes
Devenus frères et amants
Ensemble. Nous ne le verrons pas.
Nul d’entre nous ne le verra.
Il est plus lointain que prévu.
Étant jeunes, nous croyions
Que devenus vieux et rangés,
De nouvelles recrues, jeunesse
Animée de la sagesse des jeunes,
Prendraient la relève. Eux,
À coup sûr, le connaîtraient
L’âge d’or. Ils ne sont pas venus.
Ils ne viendront pas. Nous ne sommes
Plus très nombreux. Autrefois,
Nous défilions coude à coude, aujourd’hui
Chacun mène pour son compte
Une guérilla solitaire contre l’ennemi.
Tout cela a déjà eu lieu,
Maintes fois. Peu importe.
Nous étions camarades ensemble.
Nous avons bien vécu.
Il est bon d’être brave. Rien
N’est meilleur. La chère est meilleure, le vin
A plus d’éclat, les filles sont plus
Belles, le ciel plus bleu
Pour les braves — braves
Et heureux camarades, ou derniers
Braves guerriers battant en retraite.
Tu as bien vécu. Même
Tes peines, tes défaites et tes
Désillusions furent bonnes,
Affrontées avec courage, le coeur léger.
Tu nous as quittés et nous nous sentons
D’autant plus seuls. Encore un de moins,
Bientôt, il n’y aura plus personne. Nous savons
Maintenant que notre échec est durable.
Et c’est égal. Ceux d’entre nous qui restent
Se souviendront le plus loin qu’ils peuvent,
Nos enfants, qui sait, se souviendront,
Un jour, le monde se souviendra.
On dira: “Ceux-là vécurent
Au temps des bons camarades.
Quelle époque formidable
Cela dut être, quoique le présent
Soit merveilleux aussi.”
Notre souvenir revivra, à nous
Tous, toujours, en chacun,
Quand viendront les beaux jours si éloignés.
S’ils n’adviennent jamais,
Nous n’en saurons rien. Qu’importe.
Nous avons le mieux vécu, nous les hommes
Les plus heureux de notre temps.

[1952]


 

LES OISEAUX MOQUEURS

À la mi-mars au coeur de
La nuit, au centre de
La cité stérile, emmuré dans
Des kilomètres d’asphalte et
De pierre, seul et triste,
Sans sommeil dans mon lit étroit,
Roulant des soucis dans ma tête,
J’entendis se faufiler
Entre les interstices
De l’ombre battue de vent, la note
Vivante, à peine perceptible,
Faible, persistante, récurrente,
D’un crapaud solitaire —
Une voix plus douce que celle de nombreux oiseaux.
Il y a sept ans, allongés
Nus et moites, faisant l’amour
Sous la pleine lune de Pâques,
La lumière épaisse parfumée tremblait
Du chant des oiseaux moqueurs.

[1956]


 

TOUTE UNE HISTOIRE

Toi, parce que tu m’aimes, serre-moi
Bien fort, caresse-moi, sois
Douce et bonne, apaise-mol
De silence, ne dis pas un mot.
Toi, parce que je t’aime, je suis
Fort pour toi. Je te soutiens.
L’eau est vivante
Autour de nous. L’eau vive
Court dans les entailles de la terre entre
Nous. Toi, mon épouse, ta voix
Me parle au-dessus de l’eau.
Tes mains, tes bras solennels,
Traversent l’eau et m’étreignent.
Ton corps est magnifique.
Il parle et franchit l’eau.
Épouse plus douce que le miel, au coeur
Joyeux, nos coeurs battent sur
La passerelle de nos bras. Nos mots
Sont des mots de joie dans la nuit
De l’allégresse. Nos mots vivent.
Nos mots sont des enfants qui dansent
Devant nous pareils à des étoiles sur l’eau.
Mon épouse, ma toute bien-aimée,
Plus douce que le miel, que le fruit mûr,
Solennelle, grave, un oiseau en vol,
Serre-moi. Sois douce et bonne.
Je t’aime. Sois gentille envers moi.
Je suis fort pour toi. Je te
Soutiens. L’aurore de dix mille
Aurores s’embrase dans le ciel.
L’eau inonde la terre.
Les enfants rient dans l’air.

[1956]


 

SOLITUDE

Penser à toi écrasée de
Solitude. Entendre ta voix
Au magnétophone prononcer
“Solitude”. Le mot, la voix,
En débordent, et moi,
Sans toi, si perdu en elle —
Perdu dans la solitude et la douleur.
Noire et insoutenable souffrance
De penser à toi de chaque
Corpuscule de ma chair, à
Chaque instant de la nuit
Et du jour. Ô mon amour, les fois
Où nous avons oublié l’amour,
Assis seuls côte à côte.
Nous avons mangé ensemble,
Seuls derrière nos assiettes,
Nous nous sommes cachés derrière des enfants,
Nous avons dormi ensemble dans
Un lit solitaire. À présent mon coeur
Se tourne vers toi, éveillé enfin,
Repentant, perdu dans la pire
Solitude. Parle-moi. Dis-moi
Quelque chose. Brise ce silence noir.
Parle d’un arbre épais de feuilles,
D’un oiseau en vol, de la nouvelle
Lune au soleil couchant, d’un poème,
D’un livre, de quelqu’un — tous ces mots
Simples et réparateurs
De ta voix résonnante et douce.
Le mot liberté. Le mot paix.

[1956]


 

SÉRÉNITÉ

Allongé calmement à ton côté,
La joue contre tes cuisses fermes, paisibles,
La musique apaisante de Boccherini
Nous imprégnant dans le silence,
Tandis que le soleil quitte les toits
Et s’avance sur le Pacifique, serein —
Serein le soleil qui s’éloigne de nous,
Serein, comme toujours le soleil,
Sereins nos corps épuisés par les
Moments et les tourments de l’amour, nos
Cerveaux lovés, en paix dans leur coquille, assoupis,
Nos coeurs lents, calmes, sûrs
Qui battent au même rythme, la pulsation
De ta cuisse caressant ma joue. Parfaitement sereins.

[1956]


 

LES LUMIÈRES DANS LE CIEL SONT DES ÉTOILES

Pour ma fille Mary


La comète de Halley

Lorsque, à mi-chemin de ta vie,
La grande comète reviendra,
Souviens-toi de moi, enfant,
Éveillé par une nuit d’été,
Dressé dans mon berceau et
Regardant l’étoile à la longue chevelure
Il y a tant d’années.
Sors dans le noir et vois
Son panache sur l’eau
S’égoutter à travers la nuit liquide,
Et pense que vie et gloire
Vacillèrent jadis sur
Mon sang rapide, le mien et celui de
Tous ceux disparus avant moi,
Vaisseaux sur le fleuve d’un milliard
D’années qui traverse à présent tes veines.


La grande nébuleuse d’Andromède

Nous atteignons le camp le soir
Venu, sur une haute crête à découvert
Dominant deux mille
Mètres de montagnes et une immensité
De vallées et de mer.
Dans la nuit chargée d’étoiles nous cuisons
Des macaronis et dînons
À la lueur d’une lanterne. Des étoiles se massent
Autour de la table comme des lucioles.
Après le repas nous allons droit
Nous coucher. La nuit est balayée de vent
Et pure. Dans trois jours, ce sera
La pleine lune. Allongés sur le lit
Nous observons les étoiles et la lune
Qui tourne dans notre petit télescope.
Tard dans la nuit les chevaux qui bronchent
Autour du camp me réveillent.
Accoudé je regarde
Ton beau visage endormi
Joyau sous la clarté lunaire.
Si la chance te sourit et que les
Nations te le permettent, tu vivras
Loin dans le XXIe
Siècle. Je prends la lunette
Pour regarder la grande nébuleuse
D’Andromède nager comme
Une amibe phosphorescente
Autour du Pôle. Là-bas
Dans des villes reculées
Des hommes au coeur gras se préparent
À t’assassiner pendant que tu dors.


Une épée dans un nuage de lumière

Ta main dans la mienne, nous sortons
Voir les foules de Noël
Dans Fillmore Street, le quartier
Noir. Une épaisse gelée recouvre
La nuit. Les passants se pressent, enveloppés
D’une écharpe de buée. Devant
Les vitrines les enfants
Sautillent, des paillettes
Plein les yeux. Des pères Noël agitent des clochettes.
Des voitures calent et cornent. Des tramways cliquèrent.
Des haut-parleurs suspendus aux réverbères
Diffusent des chants de Noël. Sur les juke boxes
Dans les bars, Louis Armstrong
Joue White Christmas. Dans les boîtes de nuit
Les filles se déshabillent, se trémoussent et se cognent
Au son de Jingle Bells. Au-dessus de nos têtes,
Des enseignes au néon gribouillent et
Effacent et gribouillent de nouveau
Des messages qui vantent l’avarice,
La joie, la peur, l’hygiène, et les noms
Orgueilleux de la bourgeoisie.
La lune rayonne comme une face de pudding.
Au grand carrefour, nous nous arrêtons
Pour regarder, sur la diagonale
Opposée, la lune qui monte,
Et les vastes constellations d’hiver,
Solennelles et ordonnees.
Tu t’écries: “Je vois Orion!”
Le plus bel objet
Que toi et moi connaîtrons jamais
Dans le monde et dans la vie
Se tient dans les cieux déserts
Éclairés de lune, au-dessus de la multitude
D’hommes, de femmes et d’enfants, noirs
Et blancs, joyeux et gloutons,
Bons et mauvais, acheteurs
Et vendeurs, maîtres et victimes,
Quelque chose comme un immense théorème,
Qui, s’il se trouvait un jour résolu,
Résoudrait à tout jamais sous paillettes et clochettes
Le mystère et la souffrance de vivre.
Voici Orion, l’homme de la veille
De Noël, déployé
Dans le ciel comme un vrai dieu
En qui il suffirait
De croire un peu.
J’ai cinquante ans
Et toi cinq. Le dire
Ne servirait à rien,
Et l’écrire peut-être non plus.
Tu dois croire en Orion. Croire
En la nuit, la lune, la terre
Couverte de gens. Croire en Noël, aux
Anniversaires et aux oeufs de Pâques.
Croire dans tous ces composés
Éphémères de la nature, condamnés
À la décomposition et au néant.
Reste-leur toujours fidèle.
Rien d’autre n’existe. N’échange
Jamais cette religion sauvage
Contre les abstractions civilisées
Ruisselantes de sang des canailles
Qui vivent de nous tuer, toi et moi.

[1956]


 

CODICILLE

Une large part de la poésie
Universelle est artifice, procédé.
Le domaine des érudits.
Que passe une génération
Et, cuite et recuite, elle
Devient immangeable.
J’ai, pour ainsi dire, tout
Avalé, jusqu’à l’indigeste.
Lamartine, Gower, Le Tasse,
Les poètes métaphysiques
De Cambridge, anciens et modernes,
Leurs épigones américains.
Bien sûr, des années durant,
La classe qui domine la poésie anglaise
A prétendu que cette dernière
Devait rester froide construction
D’où les pronoms personnels
Étaient bannis. Appliqué
À la lettre, ce programme
Aboutit au contraire
De l’effet escompté. L’art
D’Eliot et de Valéry,
Celui du Pope, plus encore
Que personnel, est une intense
Et subjective rêverie, aussi
Intime et révélatrice,
Aussi indécente, disons,
Que des aveux confiés sur
Le divan du psychanalyste.
Ceux qui ont horreur
D’employer le pronom “Je”
Ont toujours de bonnes raisons à cela.

[1956]


 

LE VENDEUR DE POISSON AMBULANT ET LE CORDONNIER

Cela fait trente années maintenant
Que je viens dans les montagnes au mois
D’août. À trente reprises
J’ai vu vos fantômes se dresser sur
Les sommets. C’était en mille neuf
Cent vingt-sept. Nous sommes en
Mille neuf cent cinquante-sept. Une fois
Encore, trente ans après,
Me revoici dans les montagnes
De la jeunesse, au pays des Gros Ventres,
Amples vallées pareilles à des parcs
Sous les gigantesques masses
Cubiques des Rocheuses. J’ai appris
À me raser par ici, faisant
Le cuisinier et le gardien de troupeaux.
Mille neuf cent vingt-deux,
Années où l’espoir
Révolutionnaire prit fin,
Écrasé par la poigne de fer.
Moi, j’évitai la chaise électrique.
Tout continua. Le temps passa.
Mais un certain esprit disparut.
Nous croyions être les hommes
Du grand bouleversement,
Les prophètes de la vraie
Vie du genre humain.
Nous pensions que bientôt tout
Changerait, dans les rapports
Économiques et sociaux, mais aussi
En peinture, en poésie, en musique,
Dans la danse et l’architecture; même
La nourriture et les vêtements
Seraient ennoblis. Ce projet
Prendra plus de temps que prévu.
Les montagnes autour n’ont pas changé
Depuis qu’adolescent j’errais
Dans l’Ouest, au hasard
Des petits métiers. À tout prendre, elles sont
Plus sauvages maintenant. Un élan butte
Contre notre camp. Des castors frappent de leur queue
Leur mare couverte de laiche tandis que nous pêchons
Du haut de leur nid dans le
Demi-jour. Les chevaux paissent l’herbe miroitante
Dans des prés semés de gentianes mauves
Et bronchent dans la rosée d’argent
Sous la blancheur de la pleine lune.
Les poissons ont un goût d’eau des prés.
Au matin, sur de lointaines crêtes herbeuses
Dominant le rebord de roc rouge, des moutons sauvages
Bondissent, balles de caoutchouc au-dessus
De l’horizon, alors que le camp
S’éveille. J’attrape et sangle
Le petit cheval jaune de Mary
Puis charge les premières selles Decker
Que j’aie vues depuis trente ans. Même
Les clochettes au cou des chevaux sonnent
Autrement qu’en Californie.
Des geais du Canada se disputent
Les restes du petit-déjeuner.
Nous suivons un long défilé sablonneux
Parmi des champs de lavande primevère
Et la foudre éclate autour de nous.
Pour midi, Mary pêche un ombre
De deux livres dans l’eau qui jase.
Aucun sommet de quatre mille mètres
Ne porte vos noms, Sacco et Vanzetti.
Pas encore. Mes vêtements
N’ont pas changé. Les selles
Decker non plus. L’Amérique
S’engraisse en brandissant la mort.
Personne n’a plus peur des anarchistes.
En rentrant, nous avons fait halte
Une dizaine d’heures à Ogden.
La place du tribunal
Était pleine de mineurs, de bûcherons
D’ouvriers agricoles et de cheminots,
Mains brisées, visages détruits,
Cuvant un mauvais vin
Dans la canicule, tandis que défilaient
Des putains lasses aux yeux hagards.

[1957]


Ces traductions sont tirées des livres L’automne en Californie (Éditions Fédérop, 1994) et Les constellations d’hiver (Librairie La Brèche, 1999), et ont été reproduites avec l’autorisation du traducteur, Joël Cornuault, et des éditeurs. Les poèmes originaux sont extraits de The Collected Shorter Poems of Kenneth Rexroth (copyright 1966 New Directions Publishing Corp.). Copyright pour les traductions françaises: Éditions Fédérop et Librairie La Brèche.


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